Détails 3
Ateliers de la
Coquille - Jacqueline
1- Détail : Choisir et observer un détail quelques minutes. Employer
le pronom Il ou Elle. Décrire ce détail comme s’il s’agissait d’un très vieux
souvenir
2- Même détail. En employant le pronom Je , entrer dans le détail.
3- Choisir dans la pièce un nouveau détail. Employer le pronom Tu et en
faire un complice poétique du premier.
4- Ecrire en se laissant porter, après avoir écouté « une rêverie »
de Catherine (un paysage immense)
Elle est ancrée au pilier d’entrée,
barre à laquelle je me suspendais à chaque retour de classe. Elle m’a vu
grandir. Je l’ai d’abord regardée de dessous quand je marchais à peine. Elle me
servit de toise, mes yeux à sa hauteur, puis mon menton s’appuyant sur elle. Quand
la peinture se défraichit, je grattais chaque jour une petite zone, espérant
qu’ainsi elle serait rhabillée de frais plus vite. Elle Porte maintenant une
robe verte d’un tissu non lisse, cloqué. Elle ne m’apparaissait que de jour
quand j’étais enfant. Ce soir je l’ai vue sous les feux de deux spots, son
ombre traçait sur le mur un 8 tout en lignes droites et anguleuses, avec une
tâche plus sombre en son centre. L’infini sans courbe, sans rondeur, quel
présage…
Je tiens à
l’horizontale, à un mètre de hauteur, sans support au sol. Je m’étire depuis le
pilier, droite, directe et quand je sens la perte possible d’équilibre,
j’amorce le virage, une jolie boucle et file rejoindre le pilier avec un savant
calcul de l’écartement à poser pour la meilleure solidité. Je suis sûre du
juste écart en appréciant l’élégance de ma forme. Trop vite écartée après la
boucle, je serais grossière. Je commence par un frôlement de ma première tige,
cela me donne l’impulsion pour prendre mon envol. Trop parallèle, je serais
mesquine, sans vie. Je fais ma boucle douce, ni béante ni serrée, parfaite pour
l’accueil de la barre du portail, assez forte pour soutenir son poids.
J’aimerais servir à d’autres usages, perchoir pour oiseaux, support de verre à
liqueur.
Tu es en métal
gris, seau léger détourné de son usage et devenu récipient à stylos de la
maison d’écriture. Je sais que tu préférais ton usage extérieur, bien
insoupçonnable. Pourtant l’œil dessiné sur ta face rappelle la boucle de la
barre de fer du portail. Placé sous cette boucle, tu recueillais l’eau de
pluie. L’eau filtrée par cet anneau avait de grands pouvoirs. Souvent tu as été
bousculé d’un coup de pied béta, et longtemps remis en place. Qui sait si
quelques mésanges ou un chat mystérieux ont su trouver ta source.
Tel un bâton de
sourcier la tige verte dans mes mains me guide vers l’espace. Son œil malicieux
m’interroge, m’invite. Les collines se succèdent couvertes de hautes forêts,
tâches sombres des conifères dans des marées ocres et vertes. Dans ces forêts
de l’est, le sol est encore bouleversé, creusé par les bombardements de 14-18,
les tranchées des deux camps sillonnent les collines. Les arbres ont été
déchiquetés avec les hommes. De nouvelles pousses ont repris le dessus après
quelques années figées, stériles, la vie a été longue à revenir. Rares sont les
arbres plus que centenaires. La tige verte dans mes mains glisse sur les traces
anciennes des hommes, caresse leur souvenir. Presque cent ans, c’est assez loin
pour ne pas être douloureux, tous ces hommes qui ont souffert là seraient à
nouveau morts.
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