Chronos et Kairos 3




Première partie : l'allée 

La demi-lune frappait son rayon oblique sur la modeste allée de béton sertie de minuscules pierres qui balisaient le chemin. 
L'allée, d'une quinzaine de mètres environ, séparait le jardin en deux dans le sens de la longueur et partait d'une terrasse couverte jusqu'au grillage du jardin voisin. 
La vitesse à laquelle je m'apprêtais à emprunter ce chemin reflétait l'urgence de la situation, élevée, lumineuse, comme celle de ces rayons solaires renvoyés par l'astre lunaire. Ils parvenaient jusqu'à mon coeur touché, meurtrie, brisé en deux. 
Ne pas être là. Etre ailleurs. 
Pourtant, je posais mes premiers pas sur le béton hurlant avec, comme évidence, le sentiment d'être le fauve d'une cage fermée à double tour. 
J'étais là. Ne pouvait qu'être là et voulait être ailleurs. Arriver au bout de l'allée ne changerait pas grand chose à l'affaire : La perspective, certes différente, de la maison éclairée ne modifierait aucunement ce qu'il s'y passait, et qui m'avait poussé vers l'extérieur. 
L'allée, allez-retour ne faisait qu'empirer le destin immobile, statut du commandeur, qui s'avançait vers moi et dont je ne réchapperai pas. 
Le parcours brillant, le froid vif de la nuit statique saisissait mon corps, dérivait mon cerveau vers une douce sensation limbique de glace, puis, 10, 20 secondes plus tard, le cortex se remettait à pédaler, à augurer d'une douleur impossible, d'une colère atroce. Celle d'une femme, innocente, condamnée et jugée, hurlante, implorant sa bonté, 2 bras dégoulinant sur les barreaux d'une cellule puante. 
Le temps, celui des premières minutes était le pire bourreau .. celui des mois et des années à venir, le meilleur allié, jouant d'opportunités qui lui étaient, là, maintenant, sur le béton de l'allée lumineuse et nacrée, encore totalement inconnu.

Seconde partie : la recette du nettoyage cellulaire 

Pour un bon nettoyage cellulaire, ne prévoyez rien à l'avance, ni plan sur la comète, ni réservation. Il faut prendre la cellule à froid, sans qu'elle ne soit, ni échauffée, ni prévenue à l'avance. Aucune de vos cellules, avec ou sans barreaux (car il y en a de plus libertaires que d'autres) ne doivent savoir.
Pour bien faire, vous même devez être hors du coup. Ne vous prévenez donc pas. Motus ! 
Où que vous alliez dorénavant, une fois arpenté le calvaire qui va et vient de la terrasse au grillage, emportez avec vous un peigne en nacre et une petite fiole d'huile de grenade. 
La nettoyage, lorsqu'il s'imposera à vous, celui qui éclatera les barreaux d'acier, sans même avoir du préparer des mois à l'avance votre entreprise à coup de lime, nécessitera le peigne et l'huile. 
Dernier détail, gardez vous poils et vos cheveux, au plus que vous le pourrez. Ne vous rasez plus, même si vos jambes, votre entre-jambe, la grotte sous vos bras, doivent sentir la luxure et l'abondance. 
Le nettoyage cellulaire vous cueillera un jour .. loin, très loin de vos angoisses existentielles. 
Alors, alors, vous verserez quelques gouttes de la précieuse huile sur les dents alignées de votre peigne nacré, puis vous peignerez, lentement sagement, comme Pénélope, tout ce que votre corps compte de poils. 
Vous complètement nue, au soleil, une fois peigné à souhait, verserez dans le creux de la main le reste de la fiole et vous enduirez, encore et encore, jusqu'à ne plus sentir en vous que le vent doux et léger dans les feuilles d'un grenadier. 
Ne vous étonnez pas si quelques mois plus tard, poussent à vos oreilles deux superbes grenades décoratives. 
L'homme qui les reconnaitra saura qu'en vous demeure une joyeuse bande de cellules, débarrassées de la colère et la tristesse des soirs de demi-lune.

Yves

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