Chronos et Kairos 4
1- CHRONOS
Je suis
suspendue dans le vide.
Si je baisse les yeux, je te
vois, Nicolas. Perdu. Seul. Je t’ai abandonné. Ce n’était pas volontaire. J’ai
trébuché, je suis tombée, ne me suis pas relevée.
Je suis suspendue dans le vide.
Il fait noir. Très noir.
J’entends un battement profond,
qui vient exploser ma tête, mon corps, il martèle mes tempes. Des sons sourds,
lointains. Pas de lumière, pas d’éclat.
Je suis suspendue dans un vide noir.
Si je regarde au-dessus, je vois
des enfants. Aux yeux clairs, aux cheveux souples, plein d’entrain, rebelles,
autonomes, libres, fous de vie.
J’appelle. On me répond. On me
répond en noir. Il n’y a plus que du noir.
Je suis suspendue.
Dans un vide noir.
Mon passé est à mes pieds. Mon
futur est dans mon ciel. Mon temps est vertical.
Nicolas, nous étions tendres.
Nicolas, lorsque j’appelle, tu n’es plus. Pourtant, nos jeux, nos jeux avides
de démence vitale étaient…. Etaient si tendres.
Nicolas.
Nicolas.
Les enfants. Qui êtes-vous ?
Si lointains et si proches. Ces yeux. Ces yeux sont ceux de Nicolas. Non- Mon
Dieu, à qui sont ces yeux ?
Maman ? Papa ?
Je suis suspendue dans un vide noir.
Maman ? Papa ? Où est
la lumière ?
Il y a la guerre en bas, dans la
terre de mes pieds, dans la boue de mes chaussures. Il y a Pépé, à la guerre,
il court. Il y a Mamie, toute en noir, qui vend une poule sous son long manteau
rapiécé. Il y a toi Papa, qui hurle. Hurle. Hurle. Il y a toi, Nicolas.
Nicolas.
En haut, c’est un rayon de
lumière au milieu d’un nuage noir. Il y a ces deux enfants qui me ressemblent
tant. Qui chantent une symphonie de sourires.
En bas, il y toi Papa. Qui hurle.
Tu as tué. C’est la guerre. Et tu hurles encore.
En haut, cet homme, si doux, aux
yeux verts. Non- Nicolas- Ce n’est pas toi.
Tout se confond, tout se mélange.
Et ce tunnel, ce tunnel noir.
Je suis suspendue dans un vide noir.
Avec un tunnel noir. Et au
bout ? Je ne veux pas le savoir.
Nicolas ? Papa ?
Maman ? Mon homme doux aux yeux verts ? Mes enfants ?
Le temps est vertical, mon temps
est vertical, mon temps, Montand….
« Trois
allumettes allumées une à une dans la nuit…. »
Toi, Nicolas, ou, toi, l’homme
doux aux yeux verts, allume là mon allumette.
Allume là.
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2-
KAIROS
(Suite……)
Merci. Il fait flou. Il fait double.
Il y a du monde. Mais je suis éblouie. J’ai mal. Les pupilles me brûlent. Mais
la lumière est là. Merci Nicolas. Nicolas ? Non- Nicolas n’est pas là.
Merci Maman, Papa. Non- Ils pleurent, ils n’y sont pour rien. Merci, l’homme
doux aux yeux verts. Non- Tu n’es pas là. Pas encore.
Mais qui ? Qui a allumé la
lumière ?
Qui ? Je ne saurai pas. Ce
mystère, cette question, me poursuivra jusqu’au bout, jusqu’au moindre tiroir
de mon esprit labyrinthique.
Mais la lumière est là. J’entends
des cris de joie.
Je sors. Je sors dehors.
Et là, je te vois, je te vois,
toi, Nicolas.
Nicolas.
Qu’à tu-donc sur toi ?
Tu hurles : « C’EST
CARNAVAL ! »
Toi qui chantes si bien, Nicolas,
tu as pris le déguisement de nos chants, dans notre cabane, au fond de l’allée.
Et tu chantes:
« Oh Billie Jean, it’s not my
lover, she’s just a girl….. »
Et je pleure. Je pleure que tu ne
chantes pas : “Oh Marie…….”
Je pleure et je t’arrache ta
perruque.
Nicolas. Oh ! Nicolas.
Adieu. Nicolas.
Mes jours, ma vie, mes secondes,
battront le tempo d’une tornade sans fin tant que je n’aurai pas trouvé cet
homme doux aux yeux verts.
Nicolas. Pars. Pars.
Je viens de naitre. La rébellion a
un sens. La verticalité de mon temps a un sens. Tout a un sens. Le seul sens, plausible
à mes yeux, à mon cœur : Aimer. J’ai 9 ans. Et j’ai mal. Si mal. Si mal
que j’en perds toute raison. Aimer. Trouver cet homme doux aux yeux verts. Je
n’ai plus peur. J’ai vu le noir. J’ai vu le vide.
Et je mords. Je croque. Je crie. Je
cours.
Nicolas. Papa. Maman. Adieu. A
chaque recoin de mes jours, je te cherche, toi, l’homme doux aux yeux verts. Tu
es là, je le sais, quelque part. Tu es là pour moi, et tu seras à moi, et je
serais à toi.
J’ai 9 ans, et je sais. Je sais que
j’ai tort, que je n’ai rien compris, que ma rébellion fait mal, et que toi tu
es au bout de mon tunnel. Et que mon tunnel soir sera empli de tes yeux verts.
Que ces enfants aux yeux clairs, à la parade dérisoire, seront les nôtres.
Regardez-moi ! Tous ! Regardez-moi !
Non, je n’ai pas peur ! Je le hurle si fort que j’en tremble !
Il fait soleil. Je le happe ce
soleil. Je le mange. Je le savoure, jusqu’à la brulure. Il fait soleil, il fait
jour. La lumière est là.
Je te trouverais un jour. Je te
trouverais. J’ai 9 ans, et tout ce que je sais, c’est que je te trouverais,
toi, l’homme doux aux yeux verts.
Au-revoir Nicolas. A Dieu va.
Marie
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