Les langues de terre



Il était une fois une femme appelée Sarah. Enfant, elle vivait sur une langue de terre à l’Ouest de la grande plaine, derrière les hautes montagnes dont on dit qu’elles touchent le ciel et face à l’océan, trop impétueux pour qu’on en dise grand chose. 
En ce lieu isolé loin des communautés, Sarah avait grandi. 
Elle était la fille d’un esclave lapidé pour avoir tenté d’être un homme libre. Sa mère, désignée complice, avait juste eu le temps de la cacher dans le trou d’un chêne avant d’être condamnée à rejoindre les contrées de l’Est servir d’autres maîtres. Une vieille femme découvrit l’enfant.
Malmenée par la vie, seule aux confins des communautés, Lottie l’ancienne sentit souffler un vent de renouveau et revenir une fort belle part de vitalité. 
C’est ainsi que deux vagabondes innocentes et prudentes trouvèrent refuge sur la langue de terre.
Beaucoup plus tard, en un jour de printemps, le temps de Lottie s’acheva. Sarah pleura seule face à l’océan qui roulait ses vagues en un bruit fracassant à l’unisson de sa peine. Encouragée par ces grondements, elle décida de partir découvrir la vie des communautés tant contée par sa chère Lottie pleine de sagesse, d’amour et d’amertume.
Avant le départ, Sarah accomplit une dernière fois ses rituels quotidiens. 
Elle choisit trois arbres au hasard dans la forêt qui ferme au Nord la langue de terre et leur demanda de lui souffler l’histoire qu’elle raconterait à Lottie une ultime fois. Plus tard, d’autres arbres lui conteraient des histoires qu’elle offrirait à des inconnus, ainsi l’imaginait-elle. Puis elle parcourut une dernière fois la plage à la recherche du coquillage qu’elle emporterait avec elle. Quand elle le trouva, elle se baigna et nagea longtemps, portées par les vagues, les yeux fermés. Enfin, elle cueillit quelques fruits, aiguisa son couteau et demanda au buis de lui offrir une branche pour la soutenir sur le chemin.
Au bout de 21 jours de marche solitaire, elle aperçut une étrange habitation ronde, puis une autre et encore une autre. 
Devant cette apparition, Sarah fut prise d’une peur panique. Elle s’arrêta net, prête à faire demi-tour. Mais au moment de fuir, un serpent à sonnette se dressa devant elle et lui murmura : “Accepte d’aller toujours plus loin.” 
Alors Sarah obéit et continua son chemin vers les communautés.
À sa grande surprise, elle fut bien accueillie et apprit beaucoup. Mais sa joie de découvrir donna naissance à bien des rires et des moqueries. Longtemps Sarah ignora les plaisanteries jusqu’au jour où un homme au regard sombre la traita comme l’esclave qui lui servait d’ordinaire de souffre-douleur. 
C’est ainsi que Sarah découvrit la haine, la colère et les désirs de vengeance. 
Au bout de quelques semaines d’enfer, Sarah tomba évanouie au milieu de la place commune et resta inconsciente 40 jours. La communauté crut d’abord à une de ses excentricités et continua à inventer blagues et balourdises sur sa tendance à s’adresser aux plantes, aux animaux, aux hommes, au ciel et à la terre avec la même conviction. “Elle doit être en train de raconter des histoires aux anges”, raillèrent-ils au début. Puis vinrent le silence et l’abandon au milieu de la place commune. Quand elle se réveilla, l’indifférence fit rapidement place à la méfiance puis à la peur. Pendant 3 jours, elle essaya de revenir vers ceux qui l’avaient accueillie. Personne n’ouvrit sa porte. 
C’est ainsi que Sarah découvrit l’infinie tristesse de la solitude au milieu des hommes. 
Alors, elle se souvint de ses anciens rituels et retourna embrasser les arbres, chanter avec les oiseaux et nager avec les poissons. Ce retour aux premiers enseignements lui rendit force et santé. Mais les hommes ne le virent de cet œil et la chassèrent des communautés. Une nouvelle fois, Sarah se mit en route belle et sauvage comme elle ne l’avait jamais été. 
Elle partit vers le Sud, là où l’on dit que la terre fond sous les pieds. 
Sarah avait appris des hommes et de sa langue de terre que l’inconnu n’est jamais comme on l’imagine. Elle marcha longtemps, très longtemps, ses enfants diront 70 jours, avant d’arriver au bord de cette plage de sable et de galets, blottie devant une falaise blanche où vivait une communauté de femmes et d’hommes aux yeux brillants d’une étrange manière. Ils savaient voler en nageant dans l’air et se nourrissaient des rêves qu’ils se racontaient tous les matins.
C’est ainsi que Sarah découvrit son bout de terre, sa langue du ciel. 
On dit aussi qu’elle y rencontra l’amour mais ceci est une autre histoire.

Lila Layource

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